Me surprendre à grogner et feuler de contentement en rentrant seule à nuit noire.
Ce sentiment de toute puissance que j'avais oublié.
Je suis donc bien rentrée.
Et je pense à ce jour. Ce jour où vous ne me demanderez plus de vous confirmer que je suis rentrée sans encombre. Ce jour où vous aurez compris que je suis une lionne, une louve, une ourse. Et que ce qui pouvait m'arriver de pire est derrière moi. Ce jour où vous aurez compris que c'est ça qui fait ma force.
Je n'ai pas peur des mecs dans deux bagnoles qui m'ont hurlé des insanités sur le chemin.
Je n'ai pas peur de celui qui a carrément ralenti pour me parler et me demander s'il pouvait me ramener à bon port contre "rétribution".
Et ce n'est pas le gros mousqueton dans ma main comme un poing américain qui m'empêche d'avoir peur.
Non, ce n'est pas ça.
C'est cette conscience d'être vivante et intouchable, en quelque sorte, presque violente. Cette envie de humer la nuit.
Et de me foutre de tout. Particulièrement du connard fier, la bite à la main, le volant dans l'autre.
Que pourrait-il me faire qui m'effraierait de toutes façons ? Que pourrait-il me faire que je ne connaisse déjà ?
C'est lui qui devrait avoir peur. Peur de moi, de ma force, de ma joie, de ma colère, de ma rage, de ma morsure.
Il ne le saura jamais parce que j'ai préféré regarder les étoiles en souriant et en respirant l'odeur de la nuit.
C'est peut-être la seule chose que je regrette. Il ne saura pas. J'ai continué ma route la main dans le feuillage humide des haies.
J'aime la nuit. J'aime la rue. Elles sont à moi, et personne ne m'enlèvera ça. Même si j'ai un vagin et pas une bite. Personne.
Et pour ceux qui s'inquiètent : oui, votre inquiétude est touchante. Mais elle est glaçante. Vous avez peur d'un truc dont je me fiche.
Le jour où je me suis fait violer, il ne faisait pas nuit. Le second viol, je n'étais pas dans la rue.
La fois où j'ai pris le plus de coups je n'étais pas dans la rue avec un inconnu.
La fois où j'ai eu le plus mal c'était avec quelqu'un que j'aimais
La fois où j'ai eu le plus peur, j'étais seule.
Alors rentrer chez moi seule la nuit c'est une délivrance. Un bonheur intact. Ce fameux sentiment de puissance que personne ne pourra briser.
J'aime la nuit. J'aime la rue. J'aime caresser les feuilles que je croise en écoutant le vent et les voitures au loin.
J'aime l'odeur du goudron qui se refroidit après le soleil ou qui se réchauffe après la pluie.
J'aime l'odeur de terre humide qui se dégage de l'herbe en bordure de route.
J'aime même l'odeur de sueur et d'essence du mec dans sa bagnole qui s'adresse à moi depuis sa vitre baissée.
Je suis un animal nocturne. La nuit est un refuge pour oublier les terreurs du jour. Et rien ne peut m'y atteindre.
Et je rentre chez moi en paix avec moi-même et le monde.
Ne vous inquiétez pas.