Deuxième nuit blanche...
Je ne crois pas avoir jamais parlé de cette sensation : le plaisir d'avoir faim. Oui, je sais, c'est paradoxal. Mais je suis paradoxale, l'anorexie-boulimie est paradoxale...
Quand j'entame une période restrictive (sévère), au bout de 2 jours, mon ventre est moins gonflé. Je sens ce vide. Je l'aime. Le vide n'est pas seulement dans mon ventre, il est dans ma cage thoracique, il est dans ma poitrine, dans ma gorge... C'est une sensation si particulière. Je la trouve difficile à décrire, à la fois éprouvante et relaxante... Bien sûr que j'ai faim ! Comme n'importe qui dans cette situation. J'en souffre, je ne pense plus qu'à la nourriture que je m'interdis, ce qui amène parfois à des compulsions plus grande encore qu'avant. J'ai mal, j'ai comme un creux, ou plutôt comme un creux avec une boule très dure dedans... Mais cette boule dure me rassure, je ne saurais expliquer pourquoi. Une pelote de fil de fer, une pierre, une boule de pétanque, qui me dit : "Eh ! Coucou ! Je suis là, je suis de retour. Tu avais oublié comme tu m'aimes ?" Et oui, c'est dur de l'avouer quand on souffre, mais, oui, je l'aime. Je la sens, elle m'accompagne dans mes moindres gestes... Elle me dit, "Laisse-moi rester quelques jours, et tu verras, tu n'auras plus faim du tout. Si tu me laisses exister, je t'aiderai à mon tour, je prendrai la place des cochonneries que tu ingurgitais, je prendrai la place de tout tes autres soucis, parce que tu ne penseras plus qu'à moi..." Je suis pas une pro-ana, je ne pense jamais avoir conçu la maladie comme une personne, Ana et Mia n'ont pas cours chez moi. Pioupiou, Calculette, Baleine et Vomito, si. Mais je ne les considère pas comme des entités, mais comme des phases, que j'ai nommées ainsi pour mieux les décrire, avec un peu de sarcasme et d'ironie... Je "n'entends" pas la voix de ma "boule" (maboul, c'est moi qui le suis, mais bon...),mais je voudrais essayer d'expliquer ce que la faim me fait ressentir. C'est en fait très compliqué pour moi... Cette sensation de faim, je l'aime et je la déteste...
Par contre, ce que je suis sûre de détester, c'est la sensation de "remplissage", de satiété... Je me souviens, quand j'étais petite, et que j'avais bien mangé, j'avais une sensation de plénitude à la fin du repas. Aujourd'hui, ça n'arrive plus, jamais. Il m'arrive parfois d'avoir un "orgasme gustatif" en goûtant un plat particulièrement bien préparé, mais ça ne dépasse jamais 2 bouchées... Je pourrais m'arrêter après ces deux bouchées, me diriez-vous, pour voir si je retrouve ce "goût d'enfance", mais ça ne marche pas comme ça. Si je commence, je ne sais pas m'arrêter...
De temps en temps à la fin d'un repas je sors une de mes phrases rituelles "J'ai bien mangé.", mais c'est plutôt pour faire plaisir à la personne avec qui je suis qu'autre chose. Quand je suis plus fatiguée, plus énervée, la phrase devient "J'ai trop mangé". C'est un euphémisme. Dans mon esprit, ça ressemble plutôt à "C'est pas vrai ! J'ai mal tellement mon ventre est rempli, gonflé par toute cette bouffe ! J'ai pas pu manger tout ça, c'est pas possible ! ".
Mon ventre est un piège extensible qui gère mon existence.